vendredi 18 avril 2008

Notre souhait…

Notre souhait est de mettre notre blog au service des humanistes, Citoyens du monde, qui désirent participer par leur créativité, à un changement d'état d'esprit face à l'avenir de notre planète.

En toute liberté, groupes musicaux, poètes, cinéastes etc exprimez-vous et nous ouvrirons une fois par mois un débat sur un thème qui sera choisi parmi les créations.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Pour toutes celles et ceux qui se posent des questions par la prise en charge des personnes souffrant d'une maladie mentale, merci de prendre le temps de lire ces extraits et de donner votre sentiment.

Claudine


Extraits de la préface de Mario Colucci et Pierangelo Di Vittorio
au livre « Psychiatrie et Démocratie » (éditions érès, novembre 2007)

Franco Basaglia et les transformations de la psychiatrie

(…) Si, donc, la rupture du paradigme de l’internement représente un témoignage fondamental – car désormais « on sait ce qu’on peut faire » –, l’action, toutefois, ne peut rester confiné à la psychiatrie. On sait parce qu’on a prouvé qu’on pouvait faire autrement. On sait parce que les besoins des sujets ont été opposés aux nécessités de l’institution. On sait parce que l’asile a été fermé. Bien, dit Basaglia, maintenant nous savons que c’est possible et que la valeur de cette expérience ne concerne pas seulement la psychiatrie mais la cité tout entière.
« Pour convaincre la population, il était nécessaire avant tout de remettre le fou dans la ville, dans la vie sociale. Nous avons ainsi suscité l’agressivité de la ville contre nous. Nous avions besoin de créer une situation de tension pour montrer le changement qui était en train de se produire. Avec le temps, la ville a compris. »
Le travail, au-delà de la spécificité psychiatrique, touche la communauté, la population, dans une tension croissante. « Non pas vaincre, mais convaincre. » Entre consensus et opposition, la ville a été mise face aux contradictions de la santé et de la maladie, de la liberté et du contrôle social, et elle a dû répondre. C’est ça le véritable sens de l’expérience anti-institutionnelle pour Basaglia : « la transformation d’une communauté ». Transformation qui n’est possible que lorsqu’on fait apparaître comme universel un problème que, jusqu’alors, la compétence de quelques-uns séquestrait dans un « contexte technique ». Le problème psychiatrique ou non psychiatrique sort de l’omerta psychiatrique et devient le patrimoine réel des gens, qui peuvent juger si l’institution agit bien ou mal. »

(…) C’est un travail de libération plutôt que de répression. À Gorizia, Basaglia voit très tôt en les internés les plus récalcitrants – ceux qui ont résisté à la discipline asilaire et qui se montrent également hostiles aux nouvelles aventures collectives de la communauté thérapeutique – la seule ressource possible pour revitaliser un lieu de mort tel que peut l’être l’hôpital psychiatrique. Il ne s’agit pas d’écraser leur agressivité et leur opposition, mais plutôt d’en faire la force politique du changement et le rappel constant de cet abîme que le pouvoir maintient entre personnes saines et personnes malades.

(…) Il faut laisser la place et la parole à ceux qui ne s’adaptent pas et qui sont en mesure de maintenir un « rapport d’égal à égal », à ceux qui expriment encore une bonne dose d’agressivité qui les exempte de tout sentiment de reconnaissance et de dévouement vis-à-vis du soignant.

(…) Basaglia perçoit parfaitement le risque d’une fermeture des asiles qui s’avérerait incapable d’éviter une reconstructioin à l’extérieur de la même logique de contrôle social. Ainsi, en 1969 déjà, lors de son voyage aux Etats-Unis, Basaglia ne retire pas une impression positive du processus de déshospitalisation promu par la Loi Kennedy ; l’institution des Mental Health Centers met clairement en évidence le passage – parfois la superposition – d’un pouvoir psychiatrique répressif, asilaire, à un dispositif capillaire et invasif de biopouvoir montrant quelques velléités thérapeutiques mais détenant un fort mandat de contrôle social dans la quotidienneté.

(…) Pour le libéralisme, la rationalité et l’efficacité d’un gouvernement dépendent de s capacité à rendre une société plus sûre, qu’il s’agisse de faire face à la rareté du blé ou à l’inflation, ou qu’il s’agisse de gérer des phénomènes comme la variole ou la tuberculose. D’où l’importance de toute une série de dispositifs de sécurité, véritablement biopolitiques, qui font que le problème de la santé se trouve inscrit dans un raisonnement de type médico-politique.

(…) Même si Basaglia n’utilise pas le mot « biopolitique », sa découverte est de même nature : la psychiatrie, dès le début, a rempli une fonction à caractère sociopolitique. La grande question qui orientera tout son parcours est la suivante : le moment n’est-il pas venu d’ouvrir un débat public et démocratique sur cette fonction ? Le problème n’a jamais été totalement abordé parce que les raisons scientifiques et thérapeutiques ont fait écran aux motivations sociales et politiques. Comment éviter que le débat ne soit à nouveau évité, inhibé, neutralisé ? Comment empêcher que le problème de la transformation de la psychiatrie ne soit abordé sans que la société assume ses propres responsabilités ? La réponse de Basaglia, où l’on peut entendre l’écho de sa culture phénoménologique, est en même temps simple et radicale : ce n’est qu’en « mettant entre parenthèses » la maladie mentale qu’il sera possible de poser la question sur la façon dont, dans nos sociétés, les malades mentaux sont gouvernés, et à quel prix.

(…) Le psychiatre « doit refuser toute solution réformiste et mettre le malade mental en situation de se situer sur le plan de la contestation, qui comprend le refus aussi bien de son vieux rôle d’exclu que de celui de futur intégré ».

(…) Les asiles continuent d’exister partout dans le monde et s’ils doivent être abolis, c’est parce qu’ils sont les carrefours vitaux du système psychiatrique traditionnel. Basaglia n’hésite pas à les caractériser comme objets d’antiquité. Depuis longtemps une métamorphose est à l’œuvre, qui lance de nouveaux défis. Dans la logique de l’aliénisme, l’asile devait être à la fois un lieu où soigner les malades mentaux et un dispositif apte à prévenir leur dangerosité sociale. L’aliénisme entre en crise au moment où l’asile montre qu’il est un lieu qui produit la maladie, qu’il est un dispositif totalement insuffisant quant à une prévention efficace, sur une large échelle. Aujourd’hui, la « grande nouvelle vague » de la santé mentale insiste sur la nécessité de prévenir plutôt que guérir.
Basaglia n’est pas disposé à considérer la prévention comme une valeur en soi, et même, il s’interroge sur la logique qui la sous-tend et l’encense. Il n’est plus suffisant de se demander ce qu’est la psychiatrie, il faut aussi se demander ce qu’est la « santé mentale ».

(…) Tant que l’asile existera, les malades mentaux seront gouvernés par une technologie disciplinaire selon une logique d’exclusion. Mais l’asile survit désormais à l’intérieur de dispositifs plus larges, dans lesquels la technologie biopolitique et la logique d’intégration sont dominantes. Les dispositifs de santé mentale créent un nouvel objet au moment même où ils répondent à la demande de comment le gérer. L’intérêt pour les formes les plus graves de maladies mentales – considérées d’origine organique, incurables et nécessitant l’internement – se déplace vers des troubles mentaux mineurs et transitoires, où la composante sociale est évidente, et qui demandent d’autres modalités d’intervention. Les aliénés, avec leurs délires et leurs scandales, sont une minorité. Dans les sociétés capitalistes avancées, le problème est de savoir comment gérer la « majorité déviante », c’est-à-dire la grande masse de ceux qui n’arrivent pas à jouer le jeu social et productif. « La prolifération de la marginalité est aujourd’hui très élevée, elle est beaucoup plus élevée qu’à l’époque où l’on construisit les premiers asiles. Alors les asiles sont-ils encore nécessaires et utiles ? »
La norme n’est plus le coup de serpe qui partage le normal du pathologique. La frontière s’évanouit et cela permet de « jeter le filet » sur des masses de population statistiquement importantes. Le défi des nouveaux dispositifs de santé mentale est d’enregistrer les petites oscillations de la vie quotidienne – inefficacité, inadaptation, conduites antisociales, etc. – en intervenant dans le jeu des normalités différentielles. C’est ainsi qu’apparaît une sorte de « psychiatrie pour normaux ». Interprétée d’un point de vue technique, la prévention est la tentative d’écraser les normalités les moins normales sous les plus normales, conformément à l’exigence de rendre la dynamique sociale et productive plus sûre. C’est pour ça qu’il ne suffit pas de dénoncer la discrimination des malades mentaux. Il faut réussir à intervenir aussi au niveau des processus de normalisation qui sont à l’œuvre dans l’ensemble de la société. Cela explique pourquoi la violence, la coercition autoritaire et la répression apparaissent aujourd’hui moins efficaces qu’une manipulation effectuée par un usage calculé de la liberté, de la tolérance et de la permissivité.

(…) Pour donner une idée du monde de demain, il (Basaglia) utilise l’image d’un « asile très grand qui enveloppe la ville et a remplacé le vieil asile ».

(…) La même idée se retrouve, en effet, dans certaines affirmations très précises et plutôt mordantes, qui restituent le problème psychiatrique dans le cadre plus général des processus de médicalisation : « Le véritable asile ce n’est pas la psychiatrie, c’est la médecine. » La médecine est, d’abord et avant tout, une certaine organisation des relations de pouvoir : le patient se trouve, du fait de son statut, dans une position de dépendance vis-à-vis du médecin, l’absence de réciprocité restreint les espaces de liberté et d’autonomie. Aller outre le scandale de l’asile, cela veut dire commencer à mettre en question la médecine comme forme de gouvernement politique des hommes. Souvent Basaglia invoque les « droits de l’homme » pour dénoncer les internés. Peut-être lui aurait-il été utile de savoir que dans les mêmes années, Foucault commençait à parler des « droits des gouvernés » ?
Se fixer uniquement sur l’institution-asile pourrait être inutile et même contre-productif. Le réseau des services territoriaux, avec leur approche multi-disciplinaire et tendanciellement « informelle » des troubles psychiques, relativise, de fait, le caractère central de l’asile. Ce que Basaglia considère plus grave, c’est la superposition entre la vieille réalité asilaire et les nouveaux dispositifs biopolitiques. (…) Le réformisme psychiatrique produit une sorte d’accumulation temporelle où les objets d’antiquité, opportunément restaurés ou camouflés, coexistent avec les objets les plus modernes. Basaglia entrevoit un avenir où domineront des systèmes hybrides.

(…) L’asile doit être aboli, et il doit l’être non du fait de l’exacerbation d’une pulsion humanitaire débouchant sur une attitude extrémiste mais pour des raisons essentiellement stratégiques. L’asile, c’est la grande garantie. Il garantit aux psychiatres que les rapports de pouvoir ne seront jamais mis en question et que leur identité ne subira jamais de contrecoups, comme il garantit à la société qu’elle pourra continuer à dormir tranquillement, sans assumer de responsabilités particulières. Seule l’abolition de l’asile peut mettre en question ou briser ce mur de garanties, en déplaçant le processus de réforme sur un terrain risqué, où les demandes concernent tout le monde et vont aux racines des problèmes. La radicalité des demandes : c’est ça l’âme de la transformation. Les psychiatres ne sont plus les maîtres de la situation, ils doivent rendre des comptes face à la contestation des internés qui réclament le droit de discuter les raisons et les modalités de leur gestion.Le rôle des médecins entre en crise, leur subjectivité est mise en cause et devient le théâtre d’une « véritable lutte intérieure ». Pour les psychiatres s’ouvre un difficile parcours de rédemption, car on ne peut pas penser réhabiliter les malades sans s’impliquer dans un profond travail de transformation de soi-même. En même temps, la société ne peut pas ignorer le problème des malades mentaux, déléguant aux techniciens la tâche de naviguer entre les exigences du soin et de la sécurité. Les patients retournent habiter dans la ville, il faut prendre en compte leur présence, discuter, prendre position. La société entière est mise en cause, son identité civile et démocratique est mise à l’épreuve. ? La reconnaissance des droits des malades mentaux nécessite, en effet, une profonde transformation, non seulement des institutions et des lois mais aussi des attitudes, de la culture.

(…) Il (Basaglia) répète comme une ritournelle la formule d’Antonio Gramsci : « Pessimisme de la raison et optimisme de la volonté. » Cette ritournelle a souvent été interprétée comme le signe d’une dévalorisation générique de ce qui relève de la sphère « intellectuelle » et d’un primat attribué à la sphère « pratique ». En réalité, c’est une flèche lancée vers un but très précis : la belle âme qui utilise la théorie pour s’évader de la réalité et décider à la place des autres de ce qu’il faut faire. Basaglia se démarque nettement de la figure de l’intellectuel universel qui propose des visions du monde et montre la voie à suivre, de l’intellectuel qui annonce un monde nouveau (…). Par ailleurs, Basaglia n’a jamais renoncé au savoir critique, en particulier au savoir « historique ». Les analyses historiques qui parsèment ses conférences, quoique brèves et fragmentaires sont d’un grand intérêt et confèrent un style particulier à son argumentation. Être optimiste dans la pratique ne signifie pas « bien » penser.
Quelque chose qui n’a rien à voir…

Article du Soir – Centre hospitalier Jean Titeca
Dans l’édition du Soir du mardi 11 mars (pages Bruxelles) figure un article titré « Les voisins de Titeca s’inquiètent ». L’auteur de l’article écrit que « les habitants du quartier se plaignent et relatent de désagréables rencontres. (…) et souligne que le Centre Titeca accueille des cas « lourds » que d’autres centres urbains refusent. Depuis 1995, Titeca prend en charge des malades présentant des troubles sévères du comportement et de l’agressivité. Depuis octobre 2003, un service a été créé pour délinquants juvéniles présentant des troubles psychiatriques. Titeca compte 260 patients dont des personnes psychotiques nécessitant des traitements de longue durée. (…) Le directeur, Francis Broeders, déclare que le Centre met sur pied une nouvelle équipe de sécurité.

Commentaires :
Même si le Centre hospitalier Jean Titeca, dans un quartier de la commune de Schaerbeek, pilote plusieurs projets pour des « cas lourds » que d’autres centres urbains refusent, les services de la Santé fédérale devraient réfléchir à cette latitude pour nombre d’institutions de refuser certaines situations problématiques et complexes (« cas lourds ») et à ce « créneau » fonctionnel « revendiqué » et occupé comme tel par le Centre Titeca. Le fait que ce dernier (« une antiquité » dirait Basaglia) concentre 260 personnes malades mentales, est un anachronisme dans une Union européenne attachée à la promotion d’une psychiatrie alternative constituées de petites unités territoriales de proximité.

Lors de la Conférence ministérielle européenne de l’OMS sur la Santé mentale, qui s’est tenue à Helsinki du 12 au 15 janvier 2005, le plan d’action sur la santé mentale élaboré pour l’Europe souligne qu’ « au XXIe siècle, il ne peut plus être question de traitements inhumains et dégradants dans de grands établissements. L’objectif est d’offrir aux personnes atteintes de graves problèmes de santé mentale des soins de qualité dans des services de proximité. Les actions à envisager sont de programmer et mettre en place des services spécialisés accessibles 24h sur 24, sept jours sur 7 et dotés d’un personnel pluridisciplinaire, qui soient destinés aux personnes atteintes de ces problèmes graves comme la schizophrénie, le trouble bipolaire, la dépression profonde ou la démence ».

Dans les pays développés, une des caractéristiques de l’organisation des soins psychiatriques hospitaliers et en ambulatoire est leur fragmentation, symptôme précisément attribué à certains usagers. Une série de services se répartissent les personnes, chaque institution se choisissant un profil d’usagers pour l’admission ou la consultation, avec des critères qui ignorent parfois la demande et les besoins de la personne et de la population, par commodité institutionnelle.